Quel est le degré réel de solidité des banques ?
Les banques ont encore fort à faire pour accroître leur résilience et assurer la
viabilité à long terme de leur modèle opérationnel. Afin de regagner la confiance
des marchés, les établissements d’un certain nombre de pays touchés par la crise
doivent assainir leur bilan en comptabilisant leurs pertes et en se recapitalisant.
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Cela réduirait leurs coûts de financement et renforcerait leur capacité
d’intermédiation. Dans le même temps, les banques qui opèrent dans les pays
ayant connu un récent boom financier, ou qui y sont exposées, devraient éviter une
expansion excessive et veiller à disposer d’une capacité d’absorption des pertes
suffisante pour faire face à un retournement du cycle financier (chapitre IV).
Redressement après la crise
Les banques qui ont subi les effets directs de la crise financière ne sont pas encore
totalement remises. Même si leurs fonds propres se sont améliorés (supra), les
analystes et les marchés restent sceptiques. Un sentiment de pessimisme pèse sur la
note intrinsèque des banques (qui rend compte de la solidité financière intrinsèque
et exclut les garanties explicites et implicites fournies par la société mère ou l’État
d’un établissement), de même que sur leur note globale – qui est une estimation
de la qualité de crédit générale. On constate également un certain scepticisme
dans la valorisation des fonds propres de certaines banques et dans les primes de
risque exigées par les marchés sur la dette détenue par les banques.
En avril 2014, les notes intrinsèques des banques des deux côtés de l’Atlantique
se situaient plusieurs crans en deçà de leurs niveaux d’avant la crise (graphique VI.7,
cadres de gauche et du milieu, segments verts). La crise a révélé que la notation de
ces banques en 2007 était exagérément optimiste, ce qui a déclenché une série
d’importants déclassements. Les évaluations de la solidité financière intrinsèque
des banques par les grandes agences de notation ont continué de se détériorer
même après 2010 et n’ont montré que récemment de timides signes d’amélioration.
Le bas niveau des notes intrinsèques et leur détérioration peuvent éroder la
confiance dans le secteur bancaire. D’une part, de telles notes jettent le doute sur la
propre évaluation des banques quant à l’amélioration de leur solidité financière.
Elles sous-entendent aussi que les banques doivent s’en remettre davantage
qu’avant au soutien externe pour améliorer leur qualité de crédit. Mais, confrontés
à leurs propres problèmes financiers ou soucieux de réduire l’exposition des
contribuables aux risques du secteur financier, les États ont été moins à même de
fournir un tel soutien ou moins disposés à le faire. Par conséquent, les notes
globales des banques se sont détériorées autant ou davantage que les notes
intrinsèques (graphique VI.7, cadres de gauche et du milieu, hauteur combinée des
segments verts et rouges).
Les indicateurs fondés sur les cours observables sur les marchés de la dette et
des actions révèlent aussi un certain scepticisme, surtout au sujet des banques de la
zone euro et du Royaume-Uni. Compte tenu des notes de crédit des entreprises
non financières (graphique VI.7, cadre de droite), ce sentiment a donné lieu à un
écart positif entre le coût du financement des banques et celui que leurs clients
potentiels peuvent obtenir sur le marché (graphique VI.3, cadre de droite). Ajouté
à la lente reprise de l’interbancaire et du marché des pensions, ce phénomène a
fragilisé l’avantage des banques en matière de coût, ce qui leur a fait perdre du
terrain au profit de l’intermédiation de marché. Parallèlement, les ratios cours/
valeur comptable des banques de la zone euro et du Royaume-Uni sont restés
constamment inférieurs à un, et se sont ainsi inscrits en contraste avec ceux des
banques des États-Unis qui, elles, semblent avoir regagné la confiance des marchés
(graphique VI.8, cadre de gauche).
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Malgré les efforts que les banques ont déployés pour lever des capitaux après
la crise, des doutes subsistent quant à la qualité de certains bilans. Le renforcement
des fonds propres a favorisé une orientation à la hausse de la capitalisation de
marché des banques, en termes tant absolus que relatifs par rapport à la valeur
comptable des engagements (graphique VI.8, cadre de droite). Toutefois, la capacité
des fonds propres d’absorber les pertes futures est gravement compromise par les
pertes non comptabilisées sur les actifs dépréciés, lesquelles faussent les incitations
des banques, de sorte que les ressources sont consacrées au maintien à flot
d’emprunteurs en difficulté au lieu de financer de nouveaux projets. Et à mesure
que ces pertes se font jour, elles font monter les ratios de prêts improductifs.
Dans les pays à la périphérie de la zone euro, les ratios de prêts improductifs des
banques continuent d’augmenter, six ans après le pic de la crise (graphique VI.9,
cadre de gauche), tandis que le volume de nouveaux prêts reste modeste. De la
même manière, les banques d’Europe centrale déclarent, depuis 2008, des ratios
obstinément élevés et, dans certains cas, en hausse rapide (graphique VI.9, cadre
de droite).
Aux États-Unis, les prêts improductifs se sont comportés bien différemment.
Après 2009, le secteur bancaire du pays a affiché une baisse continue du ratio de
prêts improductifs qui, fin 2013, est tombé à moins de 4 %. Ajoutée à une croissance
soutenue des actifs des banques, cette évolution montre que le secteur est en
bonne voie de clore l’épisode de crise. Des tensions persistantes sur les emprunteurs
hypothécaires ont cependant maintenu à plus de 7 %, en 2013, les ratios de prêts
improductifs des deux principales agences fédérales de refinancement hypothécaire.
L’assainissement effectif des bilans constitue un défi important pour les
politiques publiques dans la zone euro. La situation a été compliquée par une
période prolongée de taux d’intérêt ultra-bas. Dans la mesure où ils favorisent de
larges marges d’intérêt, les taux bas offrent un répit bien utile aux banques dont
les résultats sont médiocres. Cela dit, ils réduisent aussi le coût du laxisme à l’égard
des emprunteurs de fait insolvables (en les maintenant à flot afin de retarder la
comptabilisation des pertes) et donc l’encouragent. L’expérience du Japon dans les
années 1990 a montré que si elle se prolonge, une telle attitude non seulement
déstabilise le secteur bancaire directement, mais freine aussi l’offre de crédit et
conduit à sa mauvaise allocation (chapitre III). Cela démontre tout l’intérêt de
l’examen de la qualité des actifs de la BCE, qui vise à accélérer l’assainissement des
bilans et à ainsi servir de base à des tests de résistance crédibles.
L’objectif des tests de résistance est de restaurer et renforcer la confiance du
marché dans le secteur bancaire. Mais en fin de compte, c’est la capacité des
banques à évaluer leurs propres risques qui conforterait sur la durée ce sentiment
de confiance. D’où l’importance des initiatives destinées à promouvoir des systèmes
de mesure du risque transparents, fiables et harmonisés au niveau international,
ainsi qu’une meilleure communication financière.
Stade avancé d’un boom financier
Dans les pays où le boom financier est récent, les banques peuvent être plus faibles
qu’il n’y paraît. Cette préoccupation s’applique essentiellement aux établissements
exposés aux économies émergentes dans lesquelles des perspectives de crédit
jugées favorables et des anticipations de bénéfices soutenus reposent sur une
expansion instable induite par l’effet de levier. Une préoccupation similaire
s’applique aux opérations bancaires dans certaines économies avancées, comme la
Suisse et les pays nordiques, où des valorisations solides (graphique VI.8, cadre de
gauche) reflètent peut-être une rapide expansion du crédit et l’effervescence des
prix de l’immobilier (chapitre IV).
Plusieurs indicateurs incitent à l’optimisme au sujet des banques des économies
émergentes. Premièrement, les ratios de prêts improductifs des banques ayant leur
siège dans certains pays d’Asie émergente et d’Amérique latine sont faibles et en
recul, s’établissant à environ 3 % ou moins fin 2013 (graphique VI.9, deuxième et
troisième cadres). Dans ce contexte, la hausse des ratios de prêts improductifs
des banques indiennes fait figure d’exception. En outre, les notes de crédit que
Fitch et Moody’s attribuent aux grandes banques des économies émergentes sont
restées stables dans l’ensemble et progressent même quelque peu depuis 2007
(graphique VI.7). Dans le même temps, les ratios cours/valeur comptable
correspondants ont été élevés, se situant autour de 2 ces cinq dernières années
(graphique VI.8, cadre de gauche).
Cela dit, il est arrivé par le passé que de tels indicateurs échouent à signaler les
vulnérabilités. En raison de leur nature rétrospective, les ratios de prêts improductifs
n’ont pas augmenté dans les économies avancées avant 2008, alors que la crise
s’était déjà déclarée (graphique VI.9, cadre de gauche). De la même manière, les
notes de crédit et les valorisations de marché avant la crise n’ont pas détecté les
difficultés financières imminentes.
En revanche, les mesures de l’expansion du crédit et du rythme de l’inflation
des prix immobiliers, qui ont été des indicateurs précoces fiables, tirent maintenant
le signal d’alarme concernant un certain nombre d’économies émergentes
(chapitre IV). Ces avertissements sont corroborés par les ratios de fonds propres,
qui correspondent à la valeur de marché des fonds propres divisée par la valeur
comptable des engagements (graphique VI.8, cadre de droite, lignes bleues). En
raison de l’expansion des bilans tirée par l’effet de levier, ces ratios diminuent
régulièrement dans l’ensemble pour les banques et les entreprises non financières
dans les économies émergentes. C’est pourquoi tout événement qui suscite le
scepticisme des investisseurs déprimerait les ratios de fonds propres, déjà
relativement faibles, et pourrait bien mettre en péril la stabilité financière. Dans les
économies émergentes, le secteur des entreprises non financières joue un rôle
important parce qu’il est la principale source de risque de crédit pour les banques
nationales, mais aussi parce qu’il participe depuis peu à la chaîne d’intermédiation
(chapitre IV).
Signe de scepticisme croissant des investisseurs, les ratios cours/valeur
comptable des banques chinoises contrastent avec ceux des banques des autres
pays émergents et diminuent depuis cinq ans. Des liens explicites et implicites entre
le secteur bancaire réglementé et le secteur bancaire parallèle ont alimenté ce
sentiment. Selon les données nationales, le crédit non bancaire aux entreprises non
financières a été multiplié par sept entre mi-2008 et fin 2013, de sorte que sa part
dans le crédit total du pays est passée de 10 à 25 %. Des fragilités qui vont de pair
avec cette rapide ascension se sont manifestées sous la forme de plusieurs défauts
(quasi défauts ou défauts purs et simples) dans le secteur bancaire parallèle chinois
et ont contribué à une forte réduction de l’offre de crédit au premier trimestre 2014.
À en croire les analystes financiers, de telles tensions devraient avoir des
répercussions sur les banques, du fait en particulier qu’elles ont émis et distribué les
produits du secteur bancaire parallèle.
Dans les économies émergentes, les autorités doivent sensibiliser les banques à
l’ampleur des risques actuels, leur faire appliquer une saine gestion des risques et
renforcer les mesures macroprudentielles. Tout d’abord, la détérioration des
perspectives de croissance dans ces économies appelle à réviser à la baisse les
prévisions de bénéfices. En outre, les autorités devront faire face aux répercussions
de l’abandon progressif de l’orientation monétaire accommodante dans les
économies avancées. Les tensions qui en résultent sur les marchés (chapitres II
et IV) ont mis en évidence l’importance d’une bonne gestion du risque de taux
d’intérêt et du risque de change. Plus généralement, l’accumulation de vulnérabilités
financières rappelle qu’il est important de ne pas se laisser abuser par un sentiment
de sécurité illusoire et qu’il convient de réévaluer les outils macroprudentiels qui
ont été utilisés par le passé (encadré VI.D). Les économies émergentes, qui ont
adopté très tôt de tels outils, ont acquis une solide expérience de leur mise en
oeuvre et de leur utilité. Cette expérience peut être mise à profit pour continuer
d’affiner et d’améliorer le cadre macroprudentiel.