«L'Occident se précipite sur nos lingots»
Pierre-Alexandre Sallier
Responsable du groupe MKS, l'un des quatre affineurs d'or en Suisse, Marwan Shakarchi, voit la demande d'or des banques privées s'envoler.
C'est une porte cochère discrète, au cœur du vieux Genève. Elle ouvre sur les bureaux - modestes alors qu'on les attendrait «bling-bling» - de MKS Finance, maison de négoce spécialisée dans les métaux précieux. Aucun lingot entassé dans des armoires. La quarantaine de collaborateurs s'occupent de trading, pour le compte de gouvernements, les banques centrales, les banques commerciales. Pour trouver l'or, il faut quitter Genève et rejoindre PAMP, l'usine d'affinage du groupe, dans le Tessin, d'où sortent 450 tonnes de métal par an. Celle-ci coule du «doré» en provenance des mines du monde entier ou fond des bijoux, afin de produire pour les gouvernements et les banques lingots et autres «faces» - ces pièces nues prêtes à être frappées. Plus de la moitié des petits lingots (moins de 100 grammes) produits dans le monde sortent de chez PAMP.
L'Europe, marché émergent
Lorsque le père de Marwan, Mahmoud Shakarchi, négociant libanais d'origine irakienne, fonde MKS à Genève après avoir fui un Pays du Cèdre en guerre, la plus grande partie de son activité se faisait avec l'Inde et le Moyen-Orient. L'Occident, lui, avait délaissé la relique barbare pour les titres de papier.
La crise financière est en train de brouiller cette carte dorée. «On assiste à une demande de métal physique très importante en Occident, en particulier un très grand intérêt de la part des banques privées suisses, pour le compte de leurs clients», explique Marwan Shakarchi. «On commence pratiquement de zéro avec cette clientèle; aujourd'hui pour nous la Suisse, la France, l'Allemagne ou les Etats-Unis sont comme des marchés émergents», sourit celui qui prit, avec sa sœur, la relève de son père décédé en 1983.
Les fonderies du Tessin, qui avaient des journées de travail classiques, tournent maintenant au maximum de leur capacité, au rythme des «3-8».
Leurs effectifs sont passés de 120 à 150 personnes en six mois. «Avant on livrait avec une semaine de préavis, maintenant nous sommes obligés d'imposer des délais de deux mois», témoigne Marwan Shakarchi. Fonderies en flux tendu
Et si la production de son usine d'affinage ne peut plus guère augmenter, le chiffre d'affaires, lui, s'envole. «Probablement 30 à 40% de plus cette année», souffle le patron de MKS, qui ne donnera pas davantage de précisions. Un rapide calcul montre cependant que la seule vente de 450 tonnes d'or par an au cours moyen affiché cette année représente une valeur de plus de 10 milliards de dollars.
MKS n'oublie pas les marchés plus traditionnels, en particulier l'Inde, de loin le premier consommateur d'or au monde (700 tonnes par an). La société genevoise va y ouvrir une usine d'affinage capable de produire 150 tonnes, en partenariat avec un groupe public indien.
La folie de l'or ne touche pas que les riches déposants des banques genevoises. Les particuliers affluent également sur Goldavenue.com, le site de vente par correspondance de MKS. «Depuis fin juillet son activité s'est envolée de 500%, c'est de la folie», s'étonne presque le marchand d'or.
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