Le platine survivra-t-il à une nouvelle grève sud-africaine ? Par Florent Detroy
Depuis plusieurs jours l'Afrique du Sud est en prise avec une série de grèves qui ont ralenti la production du pays. Alors que Johannesburg accueille à partir d'aujourd'hui et pendant 3 jours le grand raoût de l'industrie minière pour le sommet d'Indaba, la Nation arc-en-ciel est en train de pâlir dans le paysage minier. Alors que les prix du platine ont déjà connu un coup de chaud à l'annonce de la grève, une poursuite de ces mouvements ou leur extension pourrait définitivement faire exploser le prix de ces matières.
L'ombre de Marikana
On ne peut désormais plus parler de l'Afrique du Sud et de ses mines sans évoquer le drame de Marikana d'aout 2012. Le 16 aout exactement, la police sud-africaine réprime dans le sang une manifestation de mineurs qui demandent des augmentations de salaires. La fusillade fera 34 morts, et enflammera le pays. Après des semaines de manifestations étendues aux autres mines, le bilan fut de 60 morts. L'Afrique du sud fit alors le procès de plusieurs anciens cadres de l'ANC, le parti de Nelson Mandela, accusés de s'être embourgeoisé et d'avoir sacrifié la cause de l'ANC pour leur intérêt.
Le drame de Marikana fut également l'occasion de faire le point sur la situation de l'industrie minière sud-africaine. Autant le pays affiche sur la scène internationale l'image d'une certaine modernité, jusqu'à rejoindre le groupe des BRIC composé de la Russie, de la Russie de l'Inde et de la Chine, autant le secteur minier contraste avec son retard et sous investissement. Handicapées par de graves pénuries d'électricité et des infrastructures indigentes, les mines sud-africaines sont particulièrement mal équipées. La production avait même commencé à décliner en 2012 face aux difficultés, de 12% pour le platine et le palladium comparé à 2011.
Surtout, l'environnement juridique rebute de plus en plus les investisseurs, selon le Fraser Institute, le think tank canadien spécialisé sur les législations minières. Ainsi le pays est passé en 2013 de la 54ème place à la 64ème sur 96 pays miniers étudiés. Le Botswana, pays voisin du nord, se classe en comparaison à la 17ème place. Le drame de Marikana ne fit rien pour arranger la situation.
Titre : Prix de la livre de platine en dollar, sur 5 ans
Nymex Uranium
On se rend compte sur ce graphique que le drame de Marikana a soutenu les cours du platine vers les 1700$ la livre, sans toutefois provoquer d'explosion des cours. En revanche, les répercutions furent probablement importantes économiquement à moyen terme. A la suite du drame, les trois agences de notation dégradèrent la note du pays après le massacre, aidant à faire chuter le rand, la monnaie sud-africaine.
Des cours déprimés
Echaudés par le drame de Marikana, les industriels ont probablement réduit leur demande en platinoïdes fin 2012, faisant se replier les prix vers les 1400$ pour le platine et les 700$ pour le palladium. Le ralentissement industriel concomitant dans les pays développés et en Chine maintint les prix à ces niveaux sur l'année 2013.
Si la demande est repartie fin décembre dans le sillage des bons chiffres de l'index PMI, l'indice manufacturier chinois, les prix "ne devraient pas rebondir vers les 1500 $ l'once à court terme" assure Iaan Myburgh, analyste industrie minière pour le cabinet Venmyn Deloitte.
Aujourd'hui, alors que l'AMCU, le syndicat fraîchement majoritaire dans les mines de platine, demande un doublement des salaires, le secteur se demande pour combien de temps encore du platine sortira d'Afrique du sud. Depuis 2009, le rendement des capitaux investis dans la mine stagne autour de 9%, contre près de 33% sur la décennie précédente. Selon la Chambre des mines d'Afrique du sud, 45% de la production est soit à l'équilibre, soit en perte au prix actuellement. Malgré tout, il est probable que la production ne s'arrête pas tout de suite, car l'Afrique du sud est irremplaçable.
Un coffre-fort de platinoïdes
Afin de faire baisser ses coûts de production, Anglo American a fermé fin 2013 près de 10% de ses capacités de production dans la région de Rustenburg et de Pilanesburg.
Le minier anglo saxon espère pouvoir compenser cette fermeture en renforçant son site de Mogalakwena, moins cher car à ciel ouvert. Pourtant l'opération devrait être nulle en termes de production pour l'Afrique du Sud, puisque le site est également en Afrique du Sud.
Le pays possède près de 95% des réserves en platinoïde dans le monde. Si le pays ne produit "que" 40% de la production de palladium notamment, l'essoufflement de l'offre russe dans les années à venir devrait renforcer la place du pays sur le marché mondial.
Contrairement à tous les autres pays miniers, l'Afrique du Sud est réellement indispensable. Les dirigeants d'Amplats ou de Lonmin doivent se préparer à subir de nombreux maux de têtes en Afrique du sud pendant de longues années.
|