on va bientôt nous expliquer que le QE est absolument nécessaire et bénéfique pour éviter les pertes sur l'obligataire
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Vers l’irréversibilité des politiques monétaires expansionnistes
option finance - 26 janvier 2015 - Patrick Artus
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Nous pensons qu’il n’y a plus aujourd’hui de cycle économique lié au cycle de la politique monétaire et de l’inflation, comme on l’avait observé des années 1970 aux années 2000. Au contraire, nous pensons que les politiques monétaires vont rester durablement expansionnistes, pour deux raisons. Tout d’abord la «disparition de l’inflation», avec l’évolution du fonctionnement des marchés du travail et de la croissance mondiale, donc des prix des matières premières. Ensuite, avec le fait que plus les taux d’intérêt ont été durablement bas, plus il est difficile de les faire remonter en raison des pertes induites pour les détenteurs d’obligations.
Dans le passé, les cycles économiques, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Europe continentale, étaient liés aux cycles de l’inflation et aux cycles des politiques monétaires. En fin de période d’expansion, les coûts salariaux accéléraient, l’inflation anticipée et l’inflation augmentaient, ce qui conduisait les Banques centrales à accroître les taux d’intérêt. Il en résultait un retournement à la baisse de la demande intérieure qui faisait disparaître l’inflation et permettait de réduire les taux d’intérêt après une période assez courte de temps et de faire repartir l’économie. Ceci s’est observé en 1980-1981, en 1990-1992, en 2000-2001. On avait donc des cycles alternant expansions et récessions et qui étaient liés aux cycles de la politique monétaire en réaction à l’inflation.
Nous pensons que ces «cycles monétaires» ont aujourd’hui disparu, et vont être remplacés par des politiques monétaires restant durablement expansionnistes : taux d’intérêt faibles par rapport à la croissance, maintien d’une liquidité abondante. La première cause de cette évolution est la «disparition de l’inflation». La rupture dans le fonctionnement des marchés du travail est impressionnante. Même dans les pays qui parviennent au plein emploi (Etats-Unis, Royaume-Uni, Japon), les salaires réels n’accélèrent pas ou même reculent. La faiblesse du salaire réel dans la zone euro s’explique bien sûr par le niveau élevé du chômage. La perte considérable de pouvoir de négociation des salariés s’explique par la désyndicalisation, par la flexibilisation des marchés du travail (proportion de plus en plus élevée de contrats de travail temporaires, sans protection), par la mondialisation. Ceci implique que même les périodes de croissance ne font plus revenir l’inflation. Certaines évolutions sont spectaculaires : la stagnation du pouvoir d’achat du salaire médian aux Etats-Unis depuis plus de 20 ans ; la hausse du nombre de salariés devenant salariés indépendants au Royaume-Uni.
La seconde cause de la disparition de l’inflation est le passage de la croissance et de la croissance potentielle du monde en dessous du niveau (autour de 4 %) qui fait apparaître une hausse des prix des matières premières. La baisse des prix de l’énergie, des métaux, renforce l’absence d’inflation qui vient de la formation des salaires. On observe de plus la faiblesse des économies des grands émergents avec les multiples goulots d’étranglement (travail qualifié, énergie, infrastructures de transport) qui les affectent, et la baisse du poids de l’industrie dans l’économie mondiale, qui renforcent le recul des prix des matières premières. Si, pour ces deux raisons (fonctionnement nouveau des marchés du travail, croissance mondiale insuffisante pour faire monter les prix des matières premières), l’inflation ne revient pas même dans les phases d’expansion, le comportement des Banques centrales doit être modifié.
Les Banques centrales «rigides» appliquent strictement leur mandat et essaient de faire remonter l’inflation vers son niveau historique de 2 % : c’est le cas de la BCE avec la mise en place du quantitative easing. Les Banques centrales «flexibles» se contentent de conserver un biais expansionniste aux politiques monétaires avec une remontée très lente de leur taux d’intérêt directeur, qui est bien anticipée aujourd’hui par les marchés financiers : c’est le cas de la Réserve fédérale et de la Banque d’Angleterre.
La seconde cause de l’irréversibilité des politiques monétaires expansionnistes est liée à la situation des détenteurs d’obligations. Dans le passé, les taux d’intérêt à long terme n’étaient faibles que pendant une période assez courte de temps, pendant les récessions, la remontée ultérieure des taux d’intérêt à long terme ne générait donc que des pertes en capital limitées pour les investisseurs institutionnels. Les taux d’intérêt à long terme ont aujourd’hui été faibles suffisamment longtemps pour que pratiquement tous les portefeuilles obligataires aient eu le temps d’être renouvelés et constitués d’obligations à coupons très faibles. Une remontée des taux d’intérêt entraînerait donc des pertes en capital massives pour les détenteurs d’obligations (investisseurs institutionnels, banques), ce que les Banques centrales ne peuvent pas accepter.
Comme au Japon, les Banques centrales doivent alors mener des politiques monétaires maintenant des taux d’intérêt à long terme bas, pour éviter la crise financière qui résulterait de la remontée des taux d’intérêt.
Nous voyons donc au total deux raisons pour lesquelles les politiques monétaires expansionnistes sont devenues irréversibles : la disparition de l’inflation, et la volonté des Banques centrales d’éviter une crise pour les détenteurs d’obligations. Bien sûr, ceci pose plusieurs questions de fond. D’abord sur le mandat des Banques centrales. Si l’inflation a effectivement disparu, le mandat des Banques centrales ne peut plus être de ramener l’inflation à 2 %. Il faut réfléchir alors à d’autres possibilités : objectif de croissance nominale, de stabilité des prix des actifs, de croissance régulière de la liquidité.
Ensuite, sur le piège des taux d’intérêt à long terme durablement bas : forcer les investisseurs et les banques à détenir des portefeuilles obligataires, avec des coupons très faibles, génère un risque de crise financière auquel les Banques centrales devraient être sensibles.
http://www.optionfinance.fr/blogs-analy ... istes.htmlhttp://www.lesechos.fr/05/11/2015/LesEc ... etaire.htmCiter:
Pourquoi la BCE doit changer de politique monétaire
Patrick Artus - Les Echos | Le 05/11/2015
La politique monétaire menée par la Banque centrale européenne BCE (taux d'intérêt à court terme nuls, « quantitative easing », c'est-à-dire achats d'actifs financiers par la Banque centrale en contrepartie de la création monétaire) a eu des effets positifs sur l'économie de la zone euro. La dépréciation de la monnaie commune soutient les exportations, la baisse des taux d'intérêt à long terme fait progressivement et lentement repartir le crédit.
Mais ces deux succès ne doivent pas cacher les très importantes difficultés que rencontre la BCE avec cette politique monétaire très expansionniste. Tout d'abord, si cette politique a fortement réduit les taux d'intérêt sur les dettes publiques, c'est-à-dire qu'elle facilite le financement des Etats depuis la fin du printemps 2015, elle ne réduit plus les primes de risque et les taux d'intérêt sur les dettes des entreprises; au contraire, on a observé une forte remontée, de 1 % à 2 % (de 100 à 200 points de base selon la qualité des emprunteurs), des primes de risque que doivent payer les entreprises sur les obligations qu'elles émettent.
Cette évolution a deux inconvénients sérieux : le financement des entreprises n'est plus facilité par la politique monétaire de la BCE; et, par ailleurs, cette politique crée des distorsions de prix importantes entre les différents actifs financiers. Ces inconvénients sont dus, d'une part, au fait que la BCE n'achète, dans le cadre du « quantitative easing », que des obligations très peu risquées donc pas d'obligations d'entreprise; d'autre part, ce qui est réellement inquiétant est que l'accroissement considérable de la liquidité disponible liée aux opérations de la BCE a conduit à une forte augmentation de la taille des flux de capitaux qui peuvent devenir acheteurs ou vendeurs des différentes classes d'actifs financiers, d'où une forte volatilité des prix des actifs financiers risqués, une forte hausse de l'instabilité financière et la hausse correspondante des primes de risque.
La seconde difficulté à laquelle la BCE est aujourd'hui confrontée est l'absence d'effet de sa politique monétaire très expansionniste sur l'inflation. L'inflation de la zone euro est légèrement négative et, même lorsque les effets de la baisse du prix du pétrole auront disparu, si le prix du baril reste à peu près stable, l'inflation ne reviendra que vers 1 %, niveau qui correspond à la hausse des coûts salariaux de la zone euro et très inférieur à l'objectif d'inflation de la BCE, de 2 %.
Pourquoi la politique monétaire n'influence-t-elle pas l'inflation (ce qui se voit aussi aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Japon) ? D'une part, parce que la reprise du crédit est très modeste; d'autre part parce que les déréglementations des marchés du travail, la forte concurrence par les coûts entre les pays affaiblissent le pouvoir de négociation des salariés et réduisent les hausses des salaires; enfin parce que l'économie mondiale est affaiblie.
Cela force la BCE à continuer et probablement à amplifier sa politique monétaire expansionniste, ce qui correspond à la demande des investisseurs. La BCE cède en cela aux demandes des marchés financiers pour éviter la chute des prix des actifs (indices boursiers...).
Le risque pour la BCE sera alors celui de l'irréversibilité de sa politique monétaire expansionniste, ce qui est le cas lorsqu'elle est prolongée pendant une longue période de temps. Tous les financements ont alors été renouvelés avec des crédits ou des émissions obligataires à taux d'intérêt très faibles, et la remontée des taux d'intérêt est alors un choc violent aussi bien pour les emprunteurs, qui n'ont pas été incités à réduire leur dette avec les taux d'intérêt très bas, et les prêteurs, qui vont réaliser de très importantes moins-values en capital sur leurs portefeuilles d'obligations. La dépréciation de l'euro et la baisse des taux d'intérêt ayant été obtenues, il serait raisonnable que la BCE change de politique.