Pas de soucis, la nouvelle génération arrrive ! "Médecin auprès de réfugiés, j'ai compris que les migrants d’aujourd’hui sont les Français de demain"21/04/2018 - Brigitte Tregouet, Médecin généraliste, chargée d’enseignement à l’université de Nantes Avec eux, nous pouvons construire une France apaisée si nous le voulons. Renoncer à traiter les migrants comme des égaux, c'est suicider nos fondements.
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Michaela Rehle / Reuters "Médecin auprès de réfugiés, j'ai compris que les migrants d’aujourd’hui sont les Français de demain".
J'ai rencontré les migrants en les soignant. J'en ai retiré une conviction centrale. Les migrants d'aujourd'hui sont les Français de demain. Avec eux, nous pouvons construire une France apaisée si nous le voulons. La France est un grand pays. Elle a montré au cours de l'histoire sa capacité à tisser un vivre ensemble ou la diversité est une richesse. En musique comme en cuisine la multiplication des saveurs est un régal. Les nems ne font pas concurrence au gratin dauphinois.
Après avoir longtemps travaillé à l'hôpital, notamment en médecine interne et maladies infectieuses, je me suis installée comme médecin généraliste dans un quartier populaire de ma ville. Ma ville est une préfecture de province, une agglomération de 100.000 habitants, peu marquée par le chômage. Le nord du département frôle le plein emploi, on y recherche constamment des travailleurs non diplômés. Très vite, nous avons reçu des patients marqués par des événements de vie traumatiques. Une association d'aide aux personnes sans domicile fixe, pourtant installée à distance de notre cabinet, nous a repérées, et nous a sollicitées, mon associée et moi, pour y passer deux à trois fois par semaine. C'est dans ce cadre que j'ai rencontré des demandeurs d'asile, parce qu'ils étaient eux aussi sans toit, bien que pour des raisons totalement différentes. Je n'y connaissais alors rien, mais j'ai cherché à apprendre. La rencontre avec ces personnes a été bouleversante: Caucasiens (Géorgiens, Arméniens, Russes du Daghestan, Tchétchènes, Azéris-arméniens...) mais aussi Somaliens, Biélorusses, Congolais etc.. J'ai tout appris d'eux. Leur langue, leur histoire et celle de leur pays, leur trajet, leurs espoirs, leurs douleurs. La profondeur des liens qui se sont tissés est difficile à expliquer, si ce n'est par le récit d'une histoire singulière.
La profondeur des liens qui se sont tissés est difficile à expliquer, si ce n'est par le récit d'une histoire singulière.
Un homme de 35 ans vient me voir pour un mal de dos. C'est un Russe. Je l'ai connu alors qu'il était demandeur d'asile. Il n'était logé par le 115 que par intermittence et entre deux passages, il dormait dehors avec sa jeune épouse, ce qui était extrêmement anxiogène. De ses six premiers mois en France, il garde un souvenir cauchemardesque. Même une fois logé, il ne dormait pas. Hanté par les souvenirs de torture. Une hypervigilance, une sensation d'être suivi, des maux de tête et des maux de dos. Tous ces symptômes que nous connaissons bien maintenant comme appartenant au syndrome de stress post-traumatique. Depuis il a été reconnu réfugié. Cela n'a pas été simple car il a fallu raconter en public, et donc revivre, les atrocités subies et l'humiliation qui va avec. Il a fallu qu'on le croie. Il a dû écouter ce qu'avait vécu sa femme. Il aurait peut-être préféré ne pas savoir. Il avait un bon avocat. Et puis il a trouvé du travail et des enfants sont nés. Alors j'ai pesé les bébés, je les ai vaccinés, je les ai admirés. C'était doux et c'était cicatrisant. La première est entrée en CP.
Les réfugiés politiques ont perdu leur patrie, leur rôle social, une aisance dans la langue du pays où ils vivent, la confiance dans leurs compatriotes, et même parfois ceux qui ont migré avec eux.
Et puis la troisième est née et il est donc venu me voir ce jour-là pour son mal de dos. Il a posé sur le bureau l'acte de naissance de sa petite fille de huit jours. Je n'ai pas compris pourquoi il me donnait ce papier. J'ai pensé qu'il s'embrouillait avec tous les documents. La France est un pays si administratif. J'ai pensé qu'il voulait me donner l'attestation d'assurance maladie pour sa petite fille que je n'allais pas tarder à rencontrer. Mais il a insisté pour que je le regarde.
J'ai vu dans son état civil qu'il avait mis mon prénom.L'être humain est un être social. Il a des groupes d'appartenance, souvent plusieurs. La famille, le travail, l'école, les amis, le sport, la musique, que sais-je?
"Par toi je suis d'ici, je suis de nouveau relié."
Les réfugiés politiques ont perdu leur patrie, leur rôle social, une aisance dans la langue du pays où ils vivent, la confiance dans leurs compatriotes, et même parfois ceux qui ont migré avec eux. Le prénom de gratitude signe une réaffiliation. C'est comme s'il me disait: "Par toi je suis d'ici, je fais partie de ton clan, je suis de nouveau relié."
Deux fois j'ai prêté serment. Le jour de ma thèse et lors de mon inscription à l'ordre. "Je donnerai mes soins à l'indigent et à quiconque me les demandera... Que les hommes et mes confrères m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j'y manque." Renoncer à ce texte, c'est renoncer à 2500 ans de notre culture. Celle-là même qui nous empêche de basculer dans la barbarie.
En renonçant à traiter les migrants comme égaux en dignité, nous perdons collectivement notre âme. Nous suicidons nos fondements philosophiques.
https://www.huffingtonpost.fr/brigitte- ... a_23415203